Il est des sujets de l'entraînement et de sa gouvernance qui sont souvent embrouillés, mêlant à différents points de vues scientifique et technique, des questions morales et pratiques. Chacun peut constater au quotidien que les questions du monde actuel bousculent de plus en plus des certitudes qui pouvaient apparaître hier, fondées sur des consensus scientifiques stables. Ces questions « vives » font évidemment controverses et appellent à « peser le pour et le contre », à chercher à « poser les bonnes questions » avant de trancher le plus souvent pragmatiquement « chemin faisant ».
Au regard des interrogations continues sur le mental et de « nouvelles » propositions des sciences de la cognition (i.e. mental, pensée, esprit ) sur ce sujet, c’est bien dans cette perspective que nous présentons ici, les éléments d’une controverse sur le mental et sa préparation. Le terme « controverse » n'est pas employé dans le sens de la polémique, mais dans le sens de débats sur des questions professionnelles qui font appel à des savoirs émergeants, instables, hétérogènes, laissant place aux incertitudes.
Il s’agit au final de permettre aux praticiens de développer un esprit critique envers des informations et des discours contradictoires, afin qu’ils se forgent - eux-mêmes - une opinion personnelle soutenue par une argumentation, des expériences vécues et des valeurs éthiques.
Commentaires
Bonjour Philippe,
Tout ceci me confirme l'idée que votre livre sur la préparation mentale aurait du succès. A quand la remise du manuscrit ?
Bien cordialement,
Isabelle
Philippe,
Tu nous proposes ici une base excellente de réflexion pour nos pratiques de préparateurs mentaux. Je trouve ton travail remarquable dans son effort de prise en compte globale et approfondie du contexte.
Je te propose cependant, en tant que préparatrice mentale, quelques remarques nées de la lecture de ton texte. Ces remarques, la plupart du temps, concernent les aspects pratiques de ta réflexion, le reste ne relevant pas de mon champ de compétence.
1. « C’est grâce à … ou à cause … du mental »
Tu sembles beaucoup en vouloir à « la préparation du mental ».
Je ne rentrerais pas dans le débat que tu poses autour de l’existence même de la composante mentale dans la performance. Je n’ai pas besoin –et les athlètes non plus- que l’on démontre une relation entre la notion immatérielle du mental et un effet dans le monde physique pour accompagner les athlètes à mieux gérer cette composante de la performance.
D’ailleurs, je rappelle qu’historiquement, le fait d’isoler et de dissocier le mental de l’entraînement appartient aux chercheurs en psychologie du sport, qui sans doute avaient à justifier d’un travail au sein de l’INSEP ou d’autres universités. Je me souviens d’ailleurs de tes interventions, il y a 10 ans à l’INSEP, qui allaient dans ce sens.
2. Peut on faire un parallèle entre « préparation du physique » et « préparation du mental » ?
De mon point de vue, l’intérêt du parallèle entre la préparation du physique et la préparation du mental est uniquement pédagogique.
Il me semble par ailleurs que le travail du « mental » permette d’améliorer de façon mesurable certains paramètres : je pense notamment à la concentration, la cohésion et les relations interpersonnelles, voire même la gestion du stress au sens où l’athlète est capable de se livrer sans inhibition dans sa production de performance.
4. Comment considérer le statut des explications mentalistes vis-à-vis de l’action ?
Quand tu dis que les PM adoptent le modèle du plan de Miller, il en est de même des entraîneurs. Je crois que notre pratique d’entraîneurs, que nous soyons spécialisés dans un domaine ou dans un autre, nous amène à tenter de réduire le plus possible l’incertitude, tout en gardant en tête qu’on ne peut la réduire complètement. L’entraînement est la mise en place de répétitions en vue d’automatiser certains gestes/ routines, de manière à libérer l’attention de l’athlète en vue de l’adaptation nécessaire à l’alea que représente l’adversaire.
Je suis tout à fait d’accord avec toi concernant ta vision de la PM : elle se fait a priori de l’action (niveau d’attention, gestion du stress, concentration, cohésion, leapdership…) et/ou a posteriori (analyse des comportements/ stratégies mis en place).
5. Est-ce qu’aujourd’hui on peut objectiver la place de la préparation mentale dans la performance ? X % de la performance ?
Il me semble que cette question peut être éludée de manière extrêmement simple (et tu y fais allusion plus loin dans ton texte) : la performance est 100% technique, 100% tactique, 100% physique, et 100% mentale.
7. Quelles sont les bases actuelles de la préparation du mental ?
Là encore, tu as raison : je ne connais d’ailleurs pas de PM qui pratique en pensant réellement qu’il existe une intériorité absolue du cogito-mental face à une extériorité absolue du monde !
8. Quels sont les principes opérationnels de la préparation du mental ? : Les habiletés du mental.
De la même manière, les praticiens qui affichent (ou qui penseraient sans le dire) la prétention de permettre à l’athlète de tout à fait « s’auto-connaître » ne courent pas les rues. Notre but, en toute humilité, est d’accompagner l’athlète vers une meilleure connaissance des stratégies mentales qu’il met en place lorsqu’il se trouve en situation. Et nous faisons cela avec lui, de façon dé-contextualisée, hors de sa pratique, hors de tout agi.
9. La fragmentation du mental ? Classification et hiérarchisation des habiletés mentales
Je ne te rejoins pas sur cette partie de ton analyse. Encore une fois, la division du mental en « modules » répond juste à un souci de simplification. Il va de soi que tous ces modules sont liés dans l’action ; leur entraînement par contre peut se concevoir de manière dissociée, à l’image de ce qui se fait dans l’entraînement « classique ». Par exemple, un entraîneur de judo peut séparer le travail de saisie de celui de déplacement ou de celui d’uchi komi ou encore de projection. Il n’en reste pas moins qu’à la fin, l’activité globale inclura l’ensemble de ses phases. Pour le moins, parle-t-on de modèle feuilleté ?
Ce n’est pas parce que l’on travaille indépendamment les différents contenus cognitifs que l’on perd de vue la globalité du mental, et plus, du mental dans l’action et la performance.
12. De la préparation du mental aux perspectives de travail sur l’expérience vécue et aux systèmes d’aide à l’action contextuelle
Pour reprendre ta conclusion, les 2 premiers points me concernent peu en tant que praticienne (je n’adopte pas la position standard internaliste que tu proposes) ; quant à « l’émergence de paradigmes alternatifs » qui s’appuieraient sur la primauté de l’agi, c’est pour moi une lapalissade : toute PM qui ne va pas dans ce sens est une PM de laboratoire ou de chercheur !
Voilà ma réponse de praticienne.
Je me permets également de te dire que ton article, pour intéressant qu’il soit pour nous qui nous intéressons au sujet, me semblait très peu approprié pour des entraîneurs. En effet, ceux-ci ont déjà une vision par trop alambiquée de tout ce qui concerne la préparation mentale et la psychologie du sport. Nous devrions plutôt veiller à simplifier leur vision afin de les rassurer sur le côté pratico-pratique de la préparation mentale (et je pense la même chose concernant la psychologie, mais là, j’outrepasse mes droits, n’étant pas moi-même psychologue attitrée).
Je reste bien entendu à ta disposition pour continuer le débat si tu le souhaites.
Cordialement,
Magali
Philippe Fleurance : Merci Magali d’avoir pris un peu de temps pour lire ce texte et de donner ton opinion : j’accepte bien volontiers le débat
Magali Baton : Je te propose cependant, en tant que préparatrice mentale, quelques remarques nées de la lecture de ton texte. Ces remarques, la plupart du temps, concernent les aspects pratiques de ta réflexion, le reste ne relevant pas de mon champ de compétence.
Philippe Fleurance : Je comprends bien la revendication d’une posture de praticienne mais en même temps je ne peux pas accepter la distinction qui me renvoie dans les limbes de la pure théorie (qui n’existe pas) et exempte les praticiens d’une réflexivité armée de choix épistémologiques et d’outils conceptuels récents.
Philippe Fleurance : Il y a un travail historique et donc épistémologique à faire - et que j’ai à peine abordé - concernant les conceptions du « mental ». Je discerne différentes conceptions de la relation entre l'esprit, ou les processus mentaux, et les états ou processus corporels en évoquant : - la compréhension matérialiste des relations entre le cerveau et le mental qui argumente la thèse de l’identité forte entre états mentaux et états physiologiques ; - la position « internaliste » et « fonctionnaliste » qui défend la thèse d’une identité faible ou occasionnelle entre états mentaux et états cérébraux et qui est la position standard acceptée en psychologie que celle-ci soit clinique ou cognitive ; - l’émergence de paradigmes alternatifs de la cognition/mental qui affirme une relation dynamique, un couplage opérationnel qui fait émerger, « énacter » des micro-identités.
Philippe Fleurance : Les praticiens ne peuvent pas rester en dehors de ces débats – ou élaborer des pseudos modélisations qui n’ont aucun fondement scientifique : vous ne pouvez revendiquer une « préparation du mental » et de « travailler sur le mental » sans précisez ce « qu’est ce que le mental ? » pour vous.
Magali Baton 1. « C’est grâce à … ou à cause … du mental » Tu sembles beaucoup en vouloir à « la préparation du mental ». Je ne rentrerais pas dans le débat que tu poses autour de l’existence même de la composante mentale dans la performance. Je n’ai pas besoin –et les athlètes non plus- que l’on démontre une relation entre la notion immatérielle du mental et un effet dans le monde physique pour accompagner les athlètes à mieux gérer cette composante de la performance. D’ailleurs, je rappelle qu’historiquement, le fait d’isoler et de dissocier le mental de l’entraînement appartient aux chercheurs en psychologie du sport, qui sans doute avaient à justifier d’un travail au sein de l’INSEP ou d’autres universités. Je me souviens d’ailleurs de tes interventions, il y a 10 ans à l’INSEP, qui allaient dans ce sens.
Philippe Fleurance : Je n’en veux pas vraiment à « la préparation du mental » sauf que je pense que la revendication d’une exclusive catégorisation « mentale » est obsolète au plan de la conception même du mental et des pratiques que cette vision de choses génère. Mon argumentaire principal s’appuie sur l’idée de la nécessaire reliance : « Prendre ensemble corps – esprit – monde » ?
Philippe Fleurance : « gérer » cette composante de la performance : cette réification du mental en « chose » que l’on gère – comme une matérialité physique - relève pour le mieux de l’illusion car au regard des idées auto-organisatrices qui m’animent, l’action intégrant donc « corps – esprit – monde » est de nature émergente. La question qui mérite alors d’être posée et travaillée serait alors : peut –on contrôler l’émergence ? Un certain nombre de travaux concernent en effet ce point.
Philippe Fleurance : Quant à mon propre travail en ce domaine et revendiquant une posture de recherche, heureusement qu’il a évolué en 10 ans.
Magali Baton 2. Peut on faire un parallèle entre « préparation du physique » et « préparation du mental » ? De mon point de vue, l’intérêt du parallèle entre la préparation du physique et la préparation du mental est uniquement pédagogique. Il me semble par ailleurs que le travail du « mental » permette d’améliorer de façon mesurable certains paramètres : je pense notamment à la concentration, la cohésion et les relations interpersonnelles, voire même la gestion du stress au sens où l’athlète est capable de se livrer sans inhibition dans sa production de performance.
Philippe Fleurance : Evidemment je me démarque de tes catégorisations du mental cf. mon point 6 dans le texte. Je me démarque aussi de ton option positiviste qui pense que l’on peut mesurer ce que je résume sous le terme phénoménologique d’expérience (sans parler des types d’outils d’évaluation). Sur le fond, l'erreur commise par les préparateurs du mental est de voir les contenus cognitifs comme des entités statiques, stables – et donc mesurables selon les outils des sciences naturelles - qui sont indépendantes de leurs origines interactionnelles et dynamiques « corps – esprit – monde ». C'est la question récurrente de l'explication à la première personne en matière scientifique, de la confrontation fondamentale avec la profondeur phénoménale ou existentielle de notre propre esprit, de notre propre expérience.
Magali Baton 4. Comment considérer le statut des explications mentalistes vis-à-vis de l’action ? Quand tu dis que les PM adoptent le modèle du plan de Miller, il en est de même des entraîneurs. Je crois que notre pratique d’entraîneurs, que nous soyons spécialisés dans un domaine ou dans un autre, nous amène à tenter de réduire le plus possible l’incertitude, tout en gardant en tête qu’on ne peut la réduire complètement. L’entraînement est la mise en place de répétitions en vue d’automatiser certains gestes/ routines, de manière à libérer l’attention de l’athlète en vue de l’adaptation nécessaire à l’alea que représente l’adversaire. Je suis tout à fait d’accord avec toi concernant ta vision de la PM : elle se fait a priori de l’action (niveau d’attention, gestion du stress, concentration, cohésion, leapdership…) et/ou a posteriori (analyse des comportements/ stratégies mis en place).
Philippe Fleurance : Et cet argumentaire de l’automatisation conduit – paradoxalement - à dire que le corps n’existe pas plus a ce moment et que libéré de cette pesanteur l’esprit se consacre à l’adversaire ! Cette position ancienne m’apparait plus tenable actuellement au regard des conceptions récentes de l’action .
Philippe Fleurance : De plus, je suis de moins en moins sur que le métier d’entraineur sot de « réduire le plus possible l’incertitude ». L'optimisation linéaire de solutions simplistes (réduction des erreurs, réduction des interactions, hyper procéduralisation) produit des effets contraires aux résultats espérés. Les solutions de masquage de la complexité ne contribue que très peu à améliorer le problème de la complexité de la situation compétitive, car les acteurs n‘ont plus conscience de la globalité du système, de ses interrelations …c’est-à-dire des effets systèmes émergeants non linéaire, non causaliste. Les problèmes d’adaptation de nos systèmes actuels s’expriment au travers de nombreux facteurs tels que, par exemple : l’incapacité des situations d’entraînement/formation à traiter des situations complexes du « terrain » - i.e. de la dynamique du contexte compétitif – ou bien la difficulté à préparer les entraîneurs aux variabilités des situations de travail et à la prise d’initiatives dans des systèmes où l’écart se creuse entre travail prescrit et travail réel.
Philippe Fleurance : L’activité sportive se déroule dans des environnements instables i.e. - Prééminence de la variable temporelle : les domaines dont il est question sont dynamiques ; ils évoluent continuellement, avec ou sans intervention humaine. La contrainte temporelle peut jouer à deux niveaux le premier est celui de la pression qu'elle exerce sur les délais de décisions ; la seconde est celui des délais qu'elle impose avant que les effets d'une action ne soient visibles en raison des délais de réaction du processus. - Les acteurs responsables de leur fonctionnement ne peuvent pas eux-mêmes exercer une supervision totale. Le concept « d'intrasparence » rend bien compte de cet état de fait : ce qui devrait être visible ne l'est pas. Cet état de fait est autant du à des objectifs et des tâches mal définies qu'à l'impossibilité d'appréhender l'ensemble des réactions et des états possibles du processus à contrôler. - L'existence au sein même des processus à contrôler de logiques divergentes, non hiérarchisées et souvent interdépendantes. Ce fait peut être vu comme une définition de la complexité qui peut être comprise comme une propriété intrinsèque du système mais aussi comme subjective et liée aux compétences des personnes chargées du pilotage de l’entraînement. Dans tous les cas, ceci implique que pour chaque situation plusieurs solutions satisfaisantes soient envisageables.
Philippe Fleurance : En fait, les propriétés des environnements instables condamnent le pilotage de l’entraînement à un contrôle partiel du système et font du pilotage en grande partie un « art d'utiliser les circonstances » au moins autant qu'une application neutre et distanciée de normes et protocoles techniques. Les acteurs sont en permanence en train de faire des arbitrages entre les règles à appliquer et la façon de les interpréter selon les contingences du système (Cf. la notion de « dilemme » dans le rapport d‘étude sur les référentiels professionnel et de formation des entraîneurs nationaux « Chef de projet performance »).
Magali Baton 5. Est-ce qu’aujourd’hui on peut objectiver la place de la préparation mentale dans la performance ? X % de la performance ? Il me semble que cette question peut être éludée de manière extrêmement simple (et tu y fais allusion plus loin dans ton texte) : la performance est 100% technique, 100% tactique, 100% physique, et 100% mentale.
Philippe Fleurance : J’ai appris à me méfier des simplifications qui masquent le fond du questionnement
Magali Baton 7. Quelles sont les bases actuelles de la préparation du mental ? Là encore, tu as raison : je ne connais d’ailleurs pas de PM qui pratique en pensant réellement qu’il existe une intériorité absolue du cogito-mental face à une extériorité absolue du monde !
Philippe Fleurance : Surement mais quand je vois les pratiques et que je lis les ouvrages des PM, je ne retrouve pas vraiment ceci. Les implications de mes analyses conduisent à questionner le paradigme de l’enseignement des habiletés mentales pour mettre en perspective l’analyse de l’expérience vécue, de l’agi en situation, privilégiant ainsi les aspects émergeants et auto-organisés de l’action en situation.
Magali Baton 8. Quels sont les principes opérationnels de la préparation du mental ? : Les habiletés du mental. De la même manière, les praticiens qui affichent (ou qui penseraient sans le dire) la prétention de permettre à l’athlète de tout à fait « s’auto-connaître » ne courent pas les rues. Notre but, en toute humilité, est d’accompagner l’athlète vers une meilleure connaissance des stratégies mentales qu’il met en place lorsqu’il se trouve en situation. Et nous faisons cela avec lui, de façon décontextualisée, hors de sa pratique, hors de tout agi.
Philippe Fleurance : Et c’est bien deux points que je réfute. Cf1. : Dans cette perspective, privé de sa corporéité, des ressources de l’agir - non conçu comme l’ancrage essentiel - le sportif n’est jamais tant lui-même que lorsqu’il n’agit pas, que lorsqu’il est contemplatif, calculant ou évoquant mentalement tel ou tel événement ou telle ou telle action désirée ... Paradoxe ! Exit l’action incorporée, la composante expérientielle de l’agi dans les environnements sportifs riches de leurs complexités et de leurs dynamiques intrinsèques.
Philippe Fleurance : Cf2. Il en résulte que l’expérience vécue est considérée comme un ensemble d’états mentaux qui peuvent être considérés en eux-mêmes, indépendamment des conditions dans lesquelles ils sont réalisés, parce que leur « équivalence fonctionnelle» Grèzes, J., Fonlupt, P. & Decety, J. (2000). transcende les conditions de leur réalisation (voir note 31 sens 1). Cette signification est déterminée par ce que ces états représentent et tout le courant qu'on appelle aujourd'hui le cognitivisme, travaille avec l'hypothèse de l’autonomie du système de connaissance par rapport à l’action, hypothèse qui est un des objets de la controverse.
Magali Baton 9. La fragmentation du mental ? Classification et hiérarchisation des habiletés mentales Je ne te rejoins pas sur cette partie de ton analyse. Encore une fois, la division du mental en « modules » répond juste à un souci de simplification. Il va de soi que tous ces modules sont liés dans l’action ; leur entraînement par contre peut se concevoir de manière dissociée, à l’image de ce qui se fait dans l’entraînement « classique ». Par exemple, un entraîneur de judo peut séparer le travail de saisie de celui de déplacement ou de celui d’uchi komi ou encore de projection. Il n’en reste pas moins qu’à la fin, l’activité globale inclura l’ensemble de ses phases. Pour le moins, parle-t-on de modèle feuilleté ? Ce n’est pas parce que l’on travaille indépendamment les différents contenus cognitifs que l’on perd de vue la globalité du mental, et plus, du mental dans l’action et la performance.
Philippe Fleurance : Ok pour le souci de simplification … mais correspond-t-il à de réels processus « corps – esprit – monde » et selon la conception de Fodor ces modules ne sont pas liés entre eux, ils sont indépendants. Une telle description de la cognition va donc à l'encontre de sa conception en tant que processus auto-organisé. Pour citer J.A. Kelso (1995) : « Je vois le cerveau non pas comme une boîte avec des compartiments qui contiennent la tristesse, la joie, la couleur, la texture et tous les autres objets et catégories auxquels on peut penser. Plutôt, je l'envisage comme un système dynamique changeant constamment … »
Magali Baton 12. De la préparation du mental aux perspectives de travail sur l’expérience vécue et aux systèmes d’aide à l’action contextuelle Pour reprendre ta conclusion, les 2 premiers points me concernent peu en tant que praticienne (je n’adopte pas la position standard internaliste que tu proposes) ; quant à « l’émergence de paradigmes alternatifs » qui s’appuieraient sur la primauté de l’agi, c’est pour moi une lapalissade : toute PM qui ne va pas dans ce sens est une PM de laboratoire ou de chercheur ! Voilà ma réponse de praticienne. Je me permets également de te dire que ton article, pour intéressant qu’il soit pour nous qui nous intéressons au sujet, me semblait très peu approprié pour des entraîneurs. En effet, ceux-ci ont déjà une vision par trop alambiquée de tout ce qui concerne la préparation mentale et la psychologie du sport. Nous devrions plutôt veiller à simplifier leur vision afin de les rassurer sur le côté pratico-pratique de la préparation mentale (et je pense la même chose concernant la psychologie, mais là, j’outrepasse mes droits, n’étant pas moi-même psychologue attitrée).
Philippe Fleurance : Argument classique de ceux qui parlent au nom des praticiens et qui veulent leur simplifier la tâche … et qui laissent la porte à toutes les aventures scientifiquement et éthiquement désastreuses tant du coté des PM (terme que je réfute bien évidemment : d’ailleurs a-t-il une existence autre qu’auto-proclamée) que du coté des savoirs.
Philippe,
Plusieurs réactions à ta réponse (les numéros ne correspondent pas à nos échanges précédents) :
1. La dichotomie praticien- chercheur peut paraître excessive quand elle est poussée à son paroxysme, je te le concède. Elle résulte à mon sens plus d’un mode de langage que d’autre chose. Ce que je voulais dire, c’est que les termes universitaires que tu emploies à tour de lignes sont peu accessibles aux entraîneurs qui manquent cruellement de temps dans leurs activités. C’est en ce sens que je parle de simplification dans un premier temps. Ensuite, je crois que ces discussions sur le fondement de la PM me semblent très techniques pour eux, et qu’elles relèvent à priori plus des spécialistes de la question. Voire encore des personnes s’intéressant à la modélisation de la complexité : la parution de ton article dans le cadre des ateliers MCX était beaucoup plus approprié.
Pour en revenir à la dichotomie praticien chercheur, je crois simplement que la priorité des uns et des autres est différente : le chercheur arrive a posteriori pour légitimer, expliquer… des faits du terrain, en prenant du recul. Le praticien pour sa part est plus dans l’action et dispose de moins de recul. Leurs outils sont par ailleurs très différents.
Ce n’est pas en tant que praticienne que je m’intéresse à ta réflexion ; c’est en parallèle, car je la trouve essentielle pour que notre pratique avance. Je vais y revenir.
2. Tu dis à juste titre que peu de personnes ont précisé ce qu’est le mental. A défaut de publication et en toute humilité, je te propose pour la suite de nos échanges de te donner la mienne. Je résume le mental comme capacité à donner le meilleur de soi au moment propice. A partir de là, la PM est pour moi l’accompagnement spécifique d’un athlète, d’un entraîneur ou d’une équipe dans une dimension de la performance : le mental. Il y a plusieurs niveaux d’accompagnement.
3. J’entends bien ton opposition à une « catégorisation mentale ». Alors, comment d’après toi, nommer ou identifier l’élément – à réifier ou non- responsable de la capacité et/ou l’incapacité d’un athlète à reproduire à un moment M une performance identique à ce qu’il est capable de produire hors cadre compétitif ? Si tu as, je suis preneuse…
4. Je suis d’accord avec toi sur la question de la tendance à voir les contenus cognitifs comme des contenus (plus ou moins) stables, qui n’est pas sans poser problème. Et aussi sur la question de l’évaluation. Pour ma part, sur ce dernier point, j’hésite toujours à « évaluer », tant pour le manque de validité des tests que pour l’impact parfois douteux que cela peut avoir sur les athlètes ou encore l’utilisation que l’on peut faire des résultats sur le terrain. Du coup, l’évaluation repose sur la subjectivité, ce qui pour tout scientifique est le comble de l’escroquerie !
Pour autant, seuls les résultats comptent, et je me rends bien compte que cela n’est pas satisfaisant en termes de rigueur…
5. J’ai dû mal m’exprimer sur le point de l’automatisation recherchée à l’entraînement, pour que ta conclusion soit que l’automatisation permettrait au corps de ne « plus exister » ? et à l’esprit de se consacrer à l’adversaire. Nous savons tous les deux qu’il existe une relation circulaire entre la pensée et l’action, la première naissant de la seconde, et la seconde se construisant par la première. Aussi je me permets de reprendre.
a) D’abord, la répétition à l’entraînement, en plus des aspects « physiques », vise à automatiser des gestes dans le cadre d’un environnement relativement stable et prévisible. En variant les situations de répétitions, on peut imaginer réduire les situations inconnues en compétition.
b) L’intérêt de cela, à mes yeux, c’est de préparer le corps –et non l’esprit- à pouvoir s’adapter à des situations imprévisibles en opposition supra-maximale, que l’on peut peu reproduire à l’entraînement pour cause de gestion de la charge d’entraînement.
c) Je crois comme toi que c’est bien le corps qui répond en situation, et non le mental (par exemple, en 96, ce qui permet au duo Adisson Forgue (Slalom C2) d’être champion olympique, c’est une réaction conjointe qu’ils ont eu après une faute sur une porte, qui, au lieu de leur faire perdre la course, la leur fait gagner. Et cette faute, ils ne l’avaient pas travaillée, ni même envisagée, et n’avaient donc pas anticipé une réponse quelconque.
6. De plus, je te rejoins sur le fait que la finalité de l’entraînement ne devrait sans doute pas être la réduction de l’incertitude. Je crois au contraire qu’elle devrait être d’augmenter la capacité des athlètes à faire face à l’incertitude. En PM, c’est dans ce sens que j’œuvre en tous cas, tout en respectant le travail de mes collègues qui visent l’inverse à travers les routines précompétitives notamment.
7. Un mot sur la question des simplifications qui ont tendance à masquer le fond du questionnement. Quand je dis que la performance est 100% technique, 100% tactique, 100% physique et 100% mentale, il ne s’agit pas d’un masquage, plutôt d’une prise de position : la performance est le lieu par excellence de la complexité et le haut niveau nécessite l’excellence conjuguée dans « tous » les domaines. Le mental n’est que l’un d’eux, et je refuse d’entrer dans des calculs aléatoires –et impossibles- qui catalogueraient certains sports en catégories à dominante physique pour les uns, mentale pour les autres. Ceci est un débat obsolète !
8. Je reviens également sur un point qui semble réellement nous opposer : la question du sportif privé de sa corporéité, « contemplatif ». L’entraînement ne saurait ne résumer à sa partie agie. Les méthodes d’entraînement se sont affinées, on prend de mieux en mieux en charge la notion de charge d’entraînement, et la récupération –physique- fait partie de l’entraînement. C’est dans ces moments-là, en complémentarité avec les phases de terrain, qu’interviennent d’autres outils, tels la PM, mais aussi la vidéo ou d’autres ! Qui a dit que la complémentarité des méthodes contemplatives devait supplanter la pratique ?
9. Pour finir, je reviens sur le point que j’ai laissé en suspend au début de mon post, et sur lequel tu termines ta réponse : la question du « sérieux » de la PM et des préparateurs mentaux.
Je comprends ton argumentation, et la trouve d’autant plus légitime que je réfléchis également, d’une manière différente de la tienne, à faire avancer la question.
Oui, je voudrais que la profession soit mieux encadrée. Aujourd’hui, pour répondre à ta remarque sur l’auto-proclamation- seules quelques universités proposent des formations spécialisées, validées par un master ou un DU. C’est un début.
Je fais partie d’un réseau de praticiens regroupant des PM et des psychologues : le Réseau Sport Performance et Psychologie (RS2P). Au travers de pratiques de supervision et d’analyse des pratiques, nous cherchons à donner un cadre à nos pratiques. Nous essayons de réfléchir sur une charte –une de plus ?, pas satisfaisante à mon goût, mais c’est mieux que rien, et sur d’autres sujets.
En ce sens, l’échange sur ton blog est enrichissant, car il m’ouvre un autre champ de réflexion. Merci encore de cela, même si nos opinions divergent parfois, c’est notre pratique qui en sortira grandie. Je te propose d’ailleurs de venir voir ce que nous faisons dans le cadre de nos réunions : tu pourrais te faire une idée, et nous apporter ton point de vue...
A toi la balle !
Magali ta question 3 m’apparait être au centre du questionnement sur la revisitation du mental
Magali Baton : J’entends bien ton opposition à une « catégorisation mentale ». Alors, comment d’après toi, nommer ou identifier l’élément – à réifier ou non- responsable de la capacité et/ou l’incapacité d’un athlète à reproduire à un moment M une performance identique à ce qu’il est capable de produire hors cadre compétitif ? Si tu as, je suis preneuse…
Philippe Fleurance : Quelques éléments de réponse (extraits d’un ouvrage en cours de finition) a partir de cette question : La cognition/mental est-elle dans la tête et dans le monde ? Les approches de l’esprit prolongé (extended mind) et de la cognition incorporée (embodied cognition) présentent un nouveau paradigme pour penser la relation de l’action à la cognition/mental : « .... l’insatisfaction principale à l’origine de ce que nous appelons ici l’approche de l’énaction est simplement l’absence complète de sens commun dans la définition de la cognition à ce jour. Pour le cognitivisme comme pour le connexionnisme actuel, le critère d’évaluation de la cognition est toujours la représentation adéquate d’un monde extérieur prédéterminé. On parle soit d’éléments d’information correspondant à des propriétés du monde, soit de résolution de problèmes bien définis qui impliquent un monde aussi bien arrêté. Cependant, notre activité cognitive quotidienne révèle que cette image est par trop incomplète. La plus importante faculté de toute cognition vivante, est précisément, dans une large mesure, de poser les questions pertinentes qui surgissent à chaque moment de notre vie. Elles ne sont pas prédéfinies mais énactées, on les fait émerger sur un arrière-plan et les critères de pertinence sont dictés par notre sens commun d’une manière toujours contextuelle » (Varela, Thomson & Rosch, 1993).
La cognition est contrainte par la temporalité et doit être comprise de la façon dont elle fonctionne i.e. en temps réel et sous la pression de l'interaction avec l'environnement. Les agents situés doivent traiter les contraintes du « temps réel » ou du « temps d'exécution ». Un organisme vivant dans un vrai environnement, par nature évolutif et dynamique, doit faire face aux sollicitations diverses aussi rapidement que la situation l’exige. Cette importance accordée à la pression du temps est à la base d'une grande partie de la littérature concernant la cognition incarnée et située. L’argument consiste à dire que lorsque les situations exigent des réponses rapides et continues, il ne peut simplement pas y avoir le temps de construire un modèle mental de l'environnement véritable « goulot d'étranglement représentatif » duquel dérivera un plan d'action. On conçoit alors un organisme cognitif situé qui utilise - « bricole » - avec les routines « skills » qu’il possède, des comportements économiques et efficaces pour produire l'action appropriée à la situation dynamique (Warren, 1984).
Avec comme point de départ l’affirmation que le système cognitif n'est pas un manipulateur séquentiel, dans le temps discret de l’ordinateur, de structures représentatives statiques mais s’inscrit plutôt dans le temps réel du changement continu, des interactions complexes et changeantes issues de l'environnement, du corps, et du système nerveux, l’approche de la cognition par la théorie des systèmes dynamiques présente l’intérêt de prendre en considération les conditions spatiales et temporelles des processus cognitifs (Van Gelder et Port 1995).
L’activité cognitive/mentale, en tant qu’elle est incarnée, est comprise comme un processus incessant d’émergence de formes, nourri des changements qui se produisent en permanence dans le corps, dans le système nerveux et dans l’environnement : le temps réel est le temps dans lequel se déroule cette interaction. L’accent mis sur l’émergence de formes dans le temps amène à souligner que l’approche dynamique est essentiellement une approche qualitative, bien qu’elle se traduise par des formalismes mathématiques élaborés. La notion de « temps réel » véhicule deux idées : l’idée de continuité et l’idée de « timing ». Il s’agit, d’une part, de la temporalité de la réalisation, du déroulement en temps réel de l’activité cognitive, et d’autre part, de la synchronisation entre les processus cognitifs, les mouvements corporels et les sollicitations extérieures. Par exemple, lorsque nous reconnaissons un visage ou manipulons un objet, le système cognitif subit des transformations de façon continue, parce qu’il se déroule dans le même espace temporel que celui dans lequel nous vivons cet événement cognitif : les changements qui se produisent dans le système nerveux, dans le corps ou dans l’environnement, et le phénomène cognitif qui est exhibé par le système sont des événements qui doivent être synchronisés entre eux.
De même, selon Randall Beer (1995), dans le cadre de la modélisation de l’interaction entre un agent autonome et son environnement, le problème central est la production d’un comportement pertinent pendant que le système interne de l’agent et l’environnement dans lequel il évolue connaît des modifications permanentes. Dans le cas, par exemple, d’un animal qui arpente un environnement, la façon dont un animal se comporte, ajuste ses mouvements aux changements du terrain qu’il est en train de traverser, n’est pas la même selon qu’il a faim et cherche à se nourrir, qu’il est inquiet et cherche à se dissimuler, ou qu’il est simplement fatigué et cherche à se reposer. L’intérêt du cadre dynamique dans la modélisation est là encore qu’il permet de rendre compte de la continuité d’un processus cognitif et de l’interaction sous-jacente entre les différents éléments impliqués dans un comportement cognitif : « Where a computational language suggests that complex but highly structured behavior arises from the step-by-step transformation of discrete symbols by identifiable functional modules, a dynamical language suggests that such behavior can arise as a global property … )
Puisque l'environnement est également un système dynamique, et puisqu'il affecte le système cognitif et le système cognitif l'affecte, l'environnement et le système cognitif sont fortement couplés. Un tel « emboîtement » du système cognitif conduit à ce qu’une distinction précise entre le système et l'environnement est très difficile, en d'autres termes, les frontières de système sont obscures. La notion de clôture opérationnelle des systèmes est une toujours une chose délicate à réaliser. Dans cette vision, le système cognitif n'est pas simplement le cerveau encapsulé : plutôt, depuis le système nerveux, le corps, et l'environnement sont tous qui changent constamment et simultanément s'influençant, le véritable système cognitif est un système unifié simple embrassant chacun des trois » (Van Gelder 1995). De ce fait, au plan du formalisme mathématique, les équations décrivant des comportements complexes prennent en compte les processus cognitifs dynamiques, les variables environnementales qui exercent une influence, mais aussi doivent intégrer dans ces équations, les résultats de l’action sur les variables du système en temps réel (Beer, 2001). Ces propriétés temporelles peuvent être capturées avec des équations relativement simples : lié, ou couplé, ce système d’équations implique que les changements d’un composant, le plus souvent reflété par des changements d'une variable du système, ont un effet immédiat sur d'autres parties du système. Ainsi, il n'y a aucune représentation entre les composants d'un tel système, mais le système est lié par l'intermédiaire de l'inclusion du même paramètre dans des équations multiples. Les capacités de tels systèmes d’équations aux comportements « cognitifs » réalistes ont incité des théoriciens, comme van Gelder, à insister sur le fait que les systèmes conçus de tel façon n'ont aucun besoin de représentation (Van Gelder et Port 1995 ; van Gelder 1995).
En synthèse, l’action dans le monde provient d’un bouclage dynamique du fonctionnement sensori-moteur dans la liaison organisme / environnement : ce qui revient à utiliser le corps entier comme instrument de la connaissance/action. Ces « connaissances pragmatiques » sont le résultat de pratiques incarnées et socialement inscrites : ce sont des sujets humains – et pas seulement mentaux - qui sont porteurs d’activités « cognitives » : ils agissent, ils parlent, ils se meuvent, ils manipulent des objets, ils interagissent, ils produisent des artefacts… dans un monde qu’ils contribuent à organiser et qui en retour les organise. Leur morphologie, les propriétés corporelles, les « contingence sensorimotrice » donne ainsi forme à la façon dont nous pensons. Notre athlète qui peut fonder sur elles son processus de décision-action, ne requiert plus de capacités mentales démesurées au contraire d’un acteur considéré implicitement par les modèles de la PM comme rationnel, planificateur, omniscient, i.e. décidant à partir d’informations explicites dans des environnements considérés comme stabilisés
Magali Baton : Pour finir, je reviens sur le point que j’ai laissé en suspend au début de mon post, et sur lequel tu termines ta réponse : la question du « sérieux » de la PM et des préparateurs mentaux. Je comprends ton argumentation, et la trouve d’autant plus légitime que je réfléchis également, d’une manière différente de la tienne, à faire avancer la question. Oui, je voudrais que la profession soit mieux encadrée. Aujourd’hui, pour répondre à ta remarque sur l’auto-proclamation- seules quelques universités proposent des formations spécialisées, validées par un master ou un DU.
Philippe Fleurance : Je vais surement me faire des amis … : les universités qui présentent une formation – master ou DU - sous le label « préparation mentale » ne méritent pas le titre d’université. Je préfère ne pas développer ce point qui manifeste le manque de recul épistémologique et de travail conceptuel de certains collègues.
Magali Baton : C’est un début. Je fais partie d’un réseau de praticiens regroupant des PM et des psychologues : le Réseau Sport Performance et Psychologie (RS2P). Au travers de pratiques de supervision et d’analyse des pratiques, nous cherchons à donner un cadre à nos pratiques. Nous essayons de réfléchir sur une charte –une de plus ?, pas satisfaisante à mon goût, mais c’est mieux que rien, et sur d’autres sujets. En ce sens, l’échange sur ton blog est enrichissant, car il m’ouvre un autre champ de réflexion. Merci encore de cela, même si nos opinions divergent parfois, c’est notre pratique qui en sortira grandie. Je te propose d’ailleurs de venir voir ce que nous faisons dans le cadre de nos réunions : tu pourrais te faire une idée, et nous apporter ton point de vue... A toi la balle !"
Philippe Fleurance : Je crois plus en effet aux échanges et retours d’expérience effectués dans ces communautés de praticiens … à condition qu’ils soient interrogés : le risque étant de conforter des modèles possiblement erronés sous la double pression de la dépendance relationnelle entre PM et de la compréhension individuelle. Celui ensuite de la stabilisation de comportements professionnels par absence de réflexivité susceptible de les réinterroger.
Paroxysme, vous avez dit paroxysme ???
Bon, je me permets une reformulation, pour être bien sure d’avoir compris :
En gros, il y a une interaction permanente entre l’athlète et l’environnement, qui implique entre autre des adaptations permanentes en termes de réponse motrice de l’athlète. Cela impliquerait de fait que tous les plans imaginés a priori de l’action par l’athlète soient inefficaces.
Si c’est bien cela que tu as écrit, alors nous sommes d’accord (je remplacerai cependant inefficaces par insuffisants).
Pour autant, ce qui m’intéresse là-dedans, c’est cette capacité d’ajustement/ adaptation permanente. Dans ton texte, je ne trouve pour expliquer cette capacité que des éléments qui relèveraient de la « morphologie, les propriétés corporelles ou encore aux contingences sensori-motrices ».
Et cela ne me suffit pas. A morphologie ou propriétés corporelles équivalentes (hum, impossible, je m’en rends compte), il y a un autre facteur qui fait la différence, facteur interne, qui dépend de mon point de vue de la construction identitaire de l’athlète (et je concède qu’il d’agit là dans le domaine de la psychologie plus que de la PM).
Au bout du compte, depuis la fin de mes études universitaires, je me rends compte que l’ « archaïque » modèle behavioriste stimulus réponses est encore celui qui me convient le plus. Il laisse d’emblée la place à « ce qu’il se passe dans la boite noire » qui nous échappe dans sa grande majorité !
J’aime bien utiliser la notion d’éclair de génie, qui laisse pantois et dos à dos les préparateurs mentaux (et entraîneurs) et les chercheurs. Les exploits naissent toujours de cette part de génie des grands champions. Nous –préparateurs mentaux- ne pouvons pas « apprendre » cela à un athlète (et pour cause, cela n’existe pas avant d’être réalisé !) Et vous –chercheurs- ne pouvez pas non plus l’expliquer a posteriori à coup de grande théorie : c’est la beauté du sport et la grandeur des champions. Quand Zidane hier ou Messi aujourd’hui engagent une action, je crois qu’ils ont une vision fugace de tout ce qui existe sur le terrain, et ils y vont. Et cela fait la différence. Et je crois qu’ils ont tout de même des schémas préétablis en tête, qui dépassent de loin ceux de la plupart des joueurs.
Maintenant, si tu veux le fond de ma pensée, je crois que le métier d’entraîneur, ce n’est pas d’entraîner un génie ; c’est de s’occuper de tous les autres. Tous ceux pour qui l’éclair de génie ne surgira que quelques fois, peut-être. Et de favoriser pour eux un contexte pour l’émergence d’un éclair de génie. Car ce dernier n’appartient qu’à l’athlète, et je veux bien te rejoindre sur le point de sa capacité à s’adapter aux stimuli de l’environnement.
Et pour tous ceux-là je partage, je te l’ai déjà écrit, ta vision du rôle de l’entraîneur qui devrait aller dans le sens d’améliorer la capacité de l’athlète à faire face à l’imprévu. Car c’est là que se joue le haut niveau.
Ma vision du rôle du PM va dans le même sens : le grand champion n’a pas besoin des fondamentaux de la préparation mentale. Il peut tout au plus avoir besoin de « réglages », que nous –ou l’entraîneur- devons l’aider à effectuer.
Par contre, je crois que le PM peut accompagner de nombreux athlètes sur différents points. Pour en citer quelques uns que tu sembles réfuter, la capacité à rester concentrer lors d’une rencontre se travaille ; tout comme la gestion du stress précompétitif. Je crois aussi qu’il est possible de permettre à l’athlète de changer sa représentation de la compétition, sans pour autant basculer comme ont tendance à le faire les psychologues dans l’évitement de situations anxiogènes blablabla.
Et là, je te parle en connaissance de cause, pas avec des références universitaires : cela va faire 9 ans que je vois les athlètes de disciplines et niveaux différents progresser sur les points que je viens de citer.
Alors je comprends ton souci d’universitaire de chercher des relations de cause à effet ou de faire des beaux schémas, mais avoue que les chercheurs ne trouvent pas souvent grand-chose : selon la formule consacrée –et pour me faire des amis aussi, « on trouve des chercheurs qui cherchent, et on cherche des chercheurs qui trouvent ». Tout au plus viennent-ils « valider » -et ça me fait marrer- des choses qui fonctionnent déjà!
Et ce qui me rassure au bout du compte, c’est que le terrain s’est naturellement coupé des remous inutiles autour de ses pratiques pour se concentrer sur le pragmatique et l’opérationnel.
Je réitère par ailleurs mon invitation pour que tu viennes nous proposer ton point de vue et ton regard extérieur lors d’une de nos réunions. Cela nous permettrait assurément d’avancer.
Oui la liste des commentaires commence à s'allonger .... Ok pour un débat préparé à l'avance